Bar : "Le café des arts"

Le petite nuage sur lequel flottait Tama-la-fofolle s’écrasa brutalement après un merveilleux looping.

* Recontact ?! A veux dire a p’us contact pour ce soir ? A veux contaaaaaaaact !!*

Bon, d’accord, elle n’avait plus de questions et à part noter ses coordonnées, son rôle de recruteuse se terminait là. Oui elle commençait à être fatiguée, entre la mâtinée de cours, l’aprèm à la « super-hybride » écolo et la soirée concert. Mais… tout de même… outre l’attirance physique, elle aimait bien discuter avec lui. Et puis, ils auraient pu élargir la discussion, elle aurait parler de ses goûts, ils se seraient trouvés des tas de points communs et ils auraient fini par s’embrasser sous la voûte étoilée.

* ‘tain… Faut vraiment que j’arrête l’eau de rose, moi… *

C’est donc au moment où elle acceptait l’idée de ne plus parler à Billy Je-suis-un-beau-bassiste Sheehan qu'elle se rendit compte que celui-ci venait de lui tendre une perche tellement énorme qu’elle n’y avait pas cru les deux premiers dixièmes de secondes.

« Oh, hé bien… Rappelez quand vous voulez, quel que soit le sujet. Je serais ravie de vous aider si vous avez besoin de plus de détails ou autre. Et bien sûr, joignez-moi dès que vous en aurez débattu avec les autres membres du groupe. » Répondit-elle presque machinalement, sans croire à sa chance. Il voulait la rappeler !

« Est-ce que je peux prendre vos coordonnées ? » Demanda-t-elle en sortant son seul support écrit, c'est-à-dire son carnet de croquis, et un de ses crayons à dessin, de sa besace fourre-tout.

Je prend en main le carnet, qui doit normalement servir à une autre utilisation si j'en juge par les dessins divers griffonés çà et là. Je suis d'ailleurs un peu étonné qu'une représentante d'une corpo n'ait pas sur elle tout un barda électronique. Mais quoi qu'il en soit, je note tout de même mon nom, mon prénom, mon numéro de portable, ainsi qu'un petit rappel de l'identité de ma personne grâce à la mention "Bassiste du groupe Requiem".

Bon, déjà elle a l'air contente que je lui propose de la rappeler. Héhé, je le savais. Le feeling ne ment pas.
Mais je me pose une question. Est-ce que je me contente de ça, laissant le temps faire les choses, ou bien est-ce que je pousse un peu le bouchon ?

Allez, je pousse. A coeur vaillant...

"Bon, ben voilà, ça c'est fait. Maintenant, si vous avez un peu de temps, nous pourrions peut-être nous trouver une table libre, nous asseoir et faire un peu connaissance, non ?
Si vous voulez, choisissez une table, juste le temps de prévenir les autres que je m'absente et je vous rejoins."

Cette excuse triviale et habilement amenée n'est en fait destinée qu'à prévenir Combart que je vais peut-être devoir changer nos plans. Mais bon, il devrait comprendre, vu le sourire que j'ai aperçu dans le reflet du miroir derrière le bar...

Son monde était un rêve. Le Paradis ne pourrait que la décevoir. Tama Nekojin était à ce moment précis l’hybride chat la plus heureuse du secteur. Petit un, elle avait assisté à un super concert. Petit deux, elle y avait remarqué un superbe bassiste. Petit trois, elle avait parlé à ce superbe bassiste. Petit quatre, le superbe bassiste – toujours le même, hein – lui avait laissé ses coordonnées. Et petit cinq, il avait même proposé qu’ils continuent la conversation après que le petit stratagème qui avait mené au petit trois ne soit plus valable. Et ça, c’était bon signe.
Bon, c’était peut-être tout simplement pour s’assurer de leur participation au programme, mais après, si elle commençait à devenir pessimiste, elle ne s’en sortirait plus.

* Bon. Ne pas se dévoiler trop mais s’amuser un peu quand même... La chasse au bassiste est ouverte ! *

Sans se départir de son sourire, la jeune hybride acquiesça et, pendant que Billy allait prévenir ses amis, commanda deux bières légères et s’installa à la première table libre en vue.
Elle jeta un œil à son téléphone portable, qui lui servait aussi de montre et de machine à café.

* 22h. Parfait. Muhahahahaha. Haha, même. *

Tandis que la jeune hybride commande deux bières et s'éloigne en quête d'une table libre, chose aisée étant donné que les 3/4 des tables le sont, je m'approche de Combart et me penche vers lui, pour pouvoir baisser un peu le ton. Je suis pas très fier de le lâcher comme ça, mais il a déjà prouvé qu'il était assez compatissant, il ne devrait pas le prendre mal.
Enfin, j'espère...

"Bon, euh, désolé Combart, mais j'ai un... imprévu. Je pense que vous comprenez, je vous ai vu dans le miroir du bar. Désolé, pas le temps de vous parler. J'espère que vous avez apprécié le concert, on se verra demain chez votre collègue !"

Je m'éloigne déjà, rejoignant ma future manageuse, et je m'assois face à elle, constatant du même coup que l'une des deux bières qu'elle a commandé est pour moi. Arf, j'avais dit que j'arrêtais pour ce soir...
Tant pis, si j'dis des conneries ce sera pas de ma faute !

"Merci pour la bière. Bon alors, la musique qu'on fait vous semble novatrice et bien composée, mais vous, qu'est-ce que vous aimez comme genre de musique ?"

Il s’assit en face d’elle et son cœur manqua de chavirer. Sa vie était un rêve, un vrai. Elle savait que le réveil serait difficile, mais les yeux bleus de Billy chassaient le peu lucidité qui lui restait comme le vent les nuages. Et la rendaient poète. Tous aux abris.

« Ce que j’aime ? Vaste sujet… » Commença-t-elle un peu plus tard. Elle cita plusieurs groupes plus ou moins underground, ou alors carrément commercial, plutôt reggae, rock, alternatif, à textes, alternant noms et gorgées de bière. « En résumé, je garde de ma jeunesse enflammée des penchants très forts pour le rock, mais je ne renie pas quelque chose de plus… funky. »

Les lampes commençaient à devenir de vagues halo colorés. Elle n’aurait pas du reprendre cette bière…

« Mais je trouve que la fracture entre commerce et art est de plus en plus flagrante… Il n’y a plus que des groupes qui veulent vendre ou d’autres qui rejettent en bloc le système… Vous, vous êtes au milieu. C’est… bien. »

* Alors là, ça va plus du tout... *

J'écoute attentivement les noms des groupes cités par Tama. y'a du bon et du moins bon là-dedans, enfin ce n'est que mon avis. Mais je suis presque sûr que si je lui cite les noms des groupes que j'écoute, elle va penser pareil. C'est comme ça que ça marche, il en faut puor tout les goûts.
Putain de bière qui me fait défoncer des portes ouvertes...

"Ben en fait, notre approche de la musique c'est aucun de ces deux extrêmes parce que ce qu'on veut, c'est juste faire la musique qu'on aime et nous faire plaisir. En essayant quand même de faire plaisir aux gens qui nous écoutent, sinon on ferait jamais de concerts.
Mais comment ça, jeunesse enflammée ? Si je puis me permettre, vous avez pas l'air bien plus vieille que moi. Je dirais même que vous êtes un poil plus jeune, et je n'ai jamais que 23 ans..."

C'est pas poli de demander son âge à une femme. M'en fous, je lui ai pas demandé texto, rien à me reprocher.
Bon, je vide cette binouze et j'en reprend plus, ça commence à monter...

Tama résista à lancer un « ben… z’êtes plus jeune alors, héhéhé » du plus mauvais goût. C’eut été très drôle mais ça contredisait légèrement ses plans. Il lui fallait rester pro et heu… Bon, d’accord, c’était déjà trop tard. Elle était très, très gaie. Trop, même.

« Vous trouvez ? J’avoue que je suis … un poil… plus jeune que vous, en effet. Je parlais de mon adolescence – quand j’avais seize, dix-sept ans. » Dit-elle en souriant. Mince, elle croyait avoir demandé un truc *léger*.

« Et… Sinon… A part la musique… De quoi remplissez-vous votre vie ? »

Question bateau, mais toujours bon à savoir.

Ah, je le savais qu'elle était plus jeune !

Bon, c'est pas tout ça, mais faut que je réponde à la question. J'hésite à lui dire avec humour que je suis assistante sociale, rapport à Harmonie. ça va m'obliger à lui expliquer, et je m'en sens ni l'envie ni la capacité, probablement à cause des substances éthyliques qui s'amusent à courir à fond dans mes vaisseaux sanguins.

"Hum, ben comme je vous l'ai dit, j'bosse parfois en intérim. Mais bon, j'habite toujours chez mes parents, enfin dans un petit studio juste à côté, donc j'ai pas trop trop de frais."

Et merde, la tasse... Je lui aurais jamais dit ça si j'étais pas sous l'emprise de l'alcool. Bon, tant pis. Et puis, si ça se trouve, elle aussi habite toujours chez ses vieux. Alors merde.

"Et sinon, j'aide à lutter contre ces connards d'anti-hybrides. Pardon pour le terme vulgaire. Enfin bon, je pense que vous partagez la même opinion que moi, étant donné que vous êtes vous-même hybride."

Les lumières, les gens, les tables étaient flous et le visage de Billy commençait à l’être aussi. Ca ne plaisait pas à Tama. Pas du tout. Mais au moins elle arriverait à s’arracher de son siège et de son interlocuteur et à rentrer chez elle. C’était un avantage considérable.

Donc, il habitait chez ses parents, ou presque. Situation financière convenable, autonomie relative, très correct tout ça. Elle pouvait (presque) en dire autant. D’ailleurs, c’est ce qu’elle risquait de faire si elle continuait à hocher la tête à chacune de ses phrases.

* Bwarf… T’façon j’ai touché le fond, j’ai plus qu’à creuser… *

L’hybride finit la bière d’une traite. Elle ne savait même pas, même plus quelle heure il était.

« Observateur et perspicace, n’est-ce pas ? J’ai moi-même plusieurs engagements, hum… du côté écologique. »

« Et d’ailleurs il s’agit d’une organisation illégale dont le combat fragilise des emplois comme celui de mon père, par exemple. » Mmh… Non, mauvaise idée.

Elle étouffa un baillement d’un gracieux revers de main.

« Excusez-moi, je ne tiens pas très bien l’alcool… »

Je porte machinalement la main à mon verre, et celui-ci à mes lèvres, sans me rappeler que le verre en question est vide. Presque déçu de la chose, je repose ledit verre et entreprend de répondre à ma charmante écolo d'interlocutrice.

"Ah ouais ? C'est bien ça ! Bon, moi avec la musique et les anti-hybrides, j'peux pas trop m'engager ailleurs, parce que ce s'rait dur de tout concilier, mais c'est un beau combat que vous menez. ça fait longtemps ?"

« Heu… Pas très longtemps, en fait. Mes convictions ne s’appliquent concrètement que depuis ce matin. »

Les verres s’étaient vidés et l’état de béatitude éthylique dans lequel baignait Tama lui déconseillait de les faire remplir. Elle n’aurait peut-être pas dû dire ça…

« Mais j’ai toujours été pleines d’idéaux. C’est juste dur de les… les… heu… les… mince… les garder tels qu’ils sont quand on vit et travaille dans un environnement, heu… aisé et pri… privilégié. »

Elle commençait sérieusement à s’embrouiller. Son cerveau tirait la sonnette d’alarme.

« C’est comme pour tout… J’espère par exemple que votre musique restera la même… L’appel du fric est ‘ach’ment dur à ne pas entendre lorsqu’on n’y est pas habitué, enfin, plutôt si on n’a pas quelque chose de plus précieux et de plus fort en soi… »

L'hybride secoua sa crignière teinte, comme pour se secouer les idées.

« Mais je m'embrouille, pardonnez-moi... Vous êtes de quel coin ? »

Bon, si mon sang pouvait arrêter 2 minutes de tambouriner à mes tempes, je lui en serait fort reconnaissant, ça m'empêche de réfléchir à ce que je vais répondre. Déjà qu'en temps normal, j'suis pas forcément à la pointe, là ça devient presque impossible.
Tant pis, j'dirais des conneries. De toute façon, Tama est dans un état pire que le mien...

"Euh ouais, j'imagine bien que c'est pas facile de concilier des origines et des convictions si contradictoires. Enfin bon, vous avez l'air de vous en sortir, c'est tant mieux. Et vous inquiétez pas pour l'appel du fric, c'est pas ça qui me changerait. Enfin, je pense. On verra bien.

Et sinon, j'suis du secteur 10. C'est pas super comme origines, j'sais bien, mais bon, ça revient à ce que je vous disais : tant que j'arrive à m'en sortir..."

Tama avait ouvert la bouche, prête à sortir un commentaire certainement hautement philosophique, notamment sur la difficulté de garder ses convictions lorsque le verre est vide, mais fut interrompue par un hurlement terrible et féroce.

« TAMA NEKOJIN, DECROOOOOOOOOOCHE ! »

La Tama en question fit un bond un avant et se retrouva, tremblante, derrière sa chaise – oui, après un bond avant, mais les hybrides sont des créatures très souples – à fixer son sac d’où sortait les hurlements en question.

« TAMA, C’EST TA MERE QUI APPELLE, DECROCHE, C’EST UN OOOORDRE ! »

La frayeur ayant dissipés les effets de l’alcool, la Rastachat soupira un coup, marmonna qu’elle ne s’y ferait jamais, et sortit son téléphone portable. Il y avait des sonneries personnalisées dont elle aurait pu se passer, comme du fait que Billy apprenne avant même de la croiser que Mme Nekojin était un peu hystérique sur les bords.

« Allo ? Ah, tiens, salut M’man. Oui je… Tout va bien, je m’étais juste arrêtée dans un café, je… mais oui j’y ai pensé M’man. Oui, j’vais rentrer, avant minuit, comme d’hab. Que… OK d’accord. J’le ferai M’man. Hein ? Fui j’suis un peu fatiguée, j’vais pas tarder. Bisous Maman, à tout de suite. »

L’hybride rangea le téléphone dernier cri au fond de son sac et se leva.

« Désolée, les autorités supérieures m’appellent. Je m’en vais devoir vous laisser… J’attends votre appel. »

Elle dédia au bassiste son plus beau sourire accompagné d’une petite révérence, puis se dirigea vers le bar afin de régler leur consommation.

Après que la sonnerie supersonique du téléphone de Tama ait fait se retourner l'intégralité des clients et du personnel du café dans sa direction, celle-ci a une conversation rapide avec sa chère môman et se voit contrainte et forcée de laisser le pôvre bassiste tout seul, face à face avec son verre vide. Verre qu'il ne payera pas, puisque Tama se propose pour lui payer, et qu'elle ne payera pas non plus, puisque les consommations des musiciens sont offertes par la direction. Si c'est pas magnifique...

Après avoir réglé ses propres consommations, Tama s'en retourne chez elle, prenant le volant avec appréhension. Mais le trajet se passe en toute quiétude.

Billy, quand à lui, reste pour l'instant (et jusqu'à son prochain post) au Café.

Bon, ben je n'ai plus qu'à m'en aller à mon tour...

D'ailleurs, en jetant un oeil dans la salle je constate que pendant que je discutais, les autres musiciens sont partis. Tant pis, je leur raconterais demain, pour la touche avec la corporation.

Hop, je remballe mon matos, et welcome back home !